Les Chroniques de Livaï ~ Tome 2 [+13]

LA CHUTE DE LA DEESSE(juin 845)Erwin Smith

Le ciel se couvre. Cela sent déjà la pluie.

Nous chevauchons depuis des heures, et Nile n'est clairement pas rassuré. Les titans ont commencé à apparaître sur notre chemin il y a environ deux heures, et nos rangs se sont éclaircis... Les brigadiers ont beau faire partie de "l'élite", ils ne sont pas entraînés à combattre des titans réels. Mais ils se sont montrés braves malgré tout. Tu peux être fier d'eux, Nile.

Mes réserves de lames se portent bien mais le gaz est précieux. Nos ennemis ralentissent notre progression, et plus nous avançons vers le sud, plus ils se multiplient. Oui, une brèche dans le Mur est la seule explication. Sainte Maria, nos camarades sont peut-être en train de livrer combat dans la forteresse, ou bien ils sont... Non, nous avons laissé de bons soldats sur place ; Gelgar, Moblit et Nanaba sont les plus anciens, le jeune Emmerich est très capable... Mais ils sont peu nombreux. Nous devons les secourir au plus vite !

Nous avons fait évacuer quelques hameaux sur notre route. Les gens ne comprenaient rien mais ont obtempéré sans faire d'histoire. Ce n'est pas tous les jours que les brigades arpentent les terres de Maria, cela a dû les motiver.

Les titans semblent éparpillés sur les plaines, comme s'ils s'amusaient à découvrir un nouveau territoire. Cela ne les empêche pas de se retrouver régulièrement devant nous. Voilà une troupe, sur notre gauche. Des déviants, si j'en crois leur démarche. Nile donne ses ordres - je n'ai pas l'autorité pour le faire - et tous se mettent en position pour lancer leurs grappins. Nous décollons et tournons autour de nos ennemis. Les brigadiers ont une manière peu efficace de s'y prendre. Aah, j'aurai voulu leur apprendre quelques trucs avant de partir, leur niveau est à peine au-dessus de celui des brigades d'entraînement ! Je dois bien admettre que de tous ceux qui étaient présents à Trost aujourd'hui, ils ne font pas partie du haut du panier...

Je tente de les couvrir en leur indiquant de s'attaquer aux jambes, ce qui est le moins difficile. Nile et moi nous chargeons des coups de grâce. Eh bien, mon ami, tu mérites bien d'être leur commandant ! Nous avons peut-être une chance d'atteindre la forteresse après tout.

Une fois l'escarmouche terminée, nous remontons à cheval et continuons notre route. Nile me demande alors - je crois que ça fait un moment qu'il veut me poser la question - pourquoi c'est moi qui suis ici et pas Keith. Je ne réponds que vaguement, prétextant que Keith était blessé et ne pouvait prendre le commandement. Après tout, ne suis-je pas son subordonné direct ? Nile me regarde avec suspicion et je me demande s'il devine quelque chose... Sans doute pas. Moi-même, je ne peux m'attarder sur ces questions longtemps. J'ai d'autres choses à penser...

L'horizon paraît encore plus lointain à présent. Le Mur Maria risque de devenir un nouvel objectif inatteignable. La zone est déjà infestée. Ai-je envie de gérer tout ça, en devenant le... major du bataillon d'exploration ? Quel sera notre but après tout ça ? Reboucher le Mur ? Personne n'en serait capable !

Mon objectif premier est d'atteindre le quartier général. Sauver ce qui peut l'être. Hanji saura ce qu'il faut emmener en priorité. Je pense à nos archives, nos cartes, notre matériel, nos chevaux... Les livres de mon père, cachés dans mon tiroir... Non, je ne dois pas penser à ça.

Nous faisons une pause près d'un petit bois qui nous abrite de la vue des titans. Nos bêtes sont fatiguées - celles des brigades spéciales sont moins résistantes que les nôtres - et nous les laissons reprendre haleine. Ce paysage était si familier, si sécurisant... Mais à présent, la mort y rôde. Le tout est de combattre sa peur, de l'affronter. Nile, nous n'avons plus le temps, le soir ne va pas tarder.

Tandis que nous remontons en selle, une pluie fine commence à tomber et à faire bruisser la végétation autour de nous. Les feuilles humides se mettent à briller et la terre ne se changera bientôt en boue. Les pluies estivales peuvent être très violentes.

Nous avons à peine fait quelques foulées que j'entends le son de pas lourds sur le sol détrempé. Des titans approchent. On ne peut les éviter, sinon nous perdrons du temps. Je tire mes lames afin d'anticiper l'attaque, quand je discerne d'autres sons ; ceux de voix humaines.

Des réfugiés en marche pour Trost peut-être. Essayons de leur ouvrir la voie autant que possible, ils sont sans doute poursuivis ! Nile s'apprête à lancer ses câbles quand surgit du brouillard montant du sol un chariot plein à craquer de gens et de matériel de toute sortes. Des gens... Non, des explorateurs. Je reconnais les cheveux blonds de Nanaba, et Moblit qui agite le bras à notre intention. Ils sont lancés dans un galop soutenu, entourés des autres soldats à cheval, fuyant devant les monstres que je devine sur leurs talons.

Je harcèle les flancs de mon étalon afin de les rejoindre. Une fois ma cible acquise, je fonce sur le premier titan à ma portée, dont la gigantesque main est prête à s'abattre sur mes camarades. Il s'effondre et je retombe au milieu du chariot. Il s'y trouvent des blessés, quelques bonbonnes de gaz, de la nourriture... Tout cela rassemblé à la hâte, je suppose. Gelgar se jette presque à ma face pour me hurler des propos que je ne comprends pas dans un premier temps. Mais j'entends l'essentiel : les titans ont attaqué la forteresse, ils se sont enfuis en urgence. Quelle prévoyance de votre part, vous vous en êtes tirés !

Si j'ai bien compris, notre quartier général est aux mains de l'ennemi ; inutile d'aller jusqu'à là-bas, ils sont trop nombreux. Je lis ces informations sur leurs visages. Je dois en aviser Nile mais il est en train de se battre. Puis je note que les explorateurs valides ont leur équipement à moitié enfilé, opération rendue difficile par les cahots de la route et la proximité de leurs ennemis. Profitez de notre présence pour vous harnacher ; nous allons soumettre ceux-là et regagner Trost. Oui, il n'y a rien d'autre à faire.

Et j'enrage de devoir le reconnaître...