LA JOIE NE DURE QU'UN PRINTEMPS(mai 845)Keith Shadis

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Je passe incognito parmi les estivants occupés à se promener parmi les arbres

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Je passe incognito parmi les estivants occupés à se promener parmi les arbres. Je ne tiens pas à ce qu'on me remarque. Je suis sans doute le seul à porter un long trench au col relevé par ce temps. Mon chapeau achève de me dissimuler aux yeux de ceux qui auraient pu me reconnaître.

Je ne sais pas vraiment pourquoi je suis venu. Tout cette vie citadine, banale, sans souci, me fait plus de mal de que bien... Les enfants crient et jouent autour de moi, les femmes ont revêtu leurs robes les plus printanières, aux épaules dénudées... Tous semblent heureux du retour des beaux jours, si l'on fait abstraction de ceux qui pleurent encore les nombreux explorateurs morts... Je suis comme une tache de nuit au milieu de tout ceci...

Les touristes sont de toutes sortes. On peut y voir les plus hauts aristocrates côtoyer les simples villageois. On les distingue à la cohorte de serviteurs que les premiers emmènent partout avec eux, et aux nombreux marmots que les seconds essaient de surveiller avec leurs propres moyens. Ils ne se mélangent pas cependant ; malgré l'ambiance bonne enfant, les classes sociales ne fraient pas les unes avec les autres, l'ordre doit être maintenu.

Je me trouve près d'une baraque distribuant des rafraichissements. Des excursions sont aussi organisées pas loin d'ici, invitant les touristes à arpenter les allées ombreuses et fraîches de la Forêt des Arbres Géants. Ces spécimens peuvent mesurer jusqu'à quatre-vingts mètres, si bien que lorsqu'on pénètre sous leur ombre, on pourrait oublier qu'on se trouve à l'extérieur. Les rayons du soleil ne filtrent que difficilement jusqu'au sol. Leurs troncs sont dépourvus de branches jusqu'à une certaine hauteur, si bien que les lieux ressemblent à un genre de cathédrale plantée de colonnes.

Oui, cette forêt est un monument en elle-même. Je pense savoir pourquoi j'y suis venu ; une fois à l'intérieur, la civilisation s'efface, on a l'impression de pénétrer dans un autre monde mystérieux. Tout à fait ce qu'il me faut pour me guérir un moment de ma frustration de ne pas avoir atteint mon objectif.

J'y étais... J'aurais pu atteindre l'autre côté de l'horizon... Erwin ne m'a rien dit du tout alors que c'est lui qui est allé le plus loin au sud, mais si j'en crois les chuchotements des soldats, le bruit court qu'il aurait aperçu quelque chose. J'ai tenté de l'interroger mais il a affirmé que ce sont des racontars. Je le soupçonne de vouloir me ménager et m'épargner une plus grande déception... mais s'il avait vraiment vu quelque chose, il serait sans doute plus excité que ça. Ou alors il joue vraiment bien la comédie...

Je suis un groupe de promeneurs sous les frondaisons et nous nous enfonçons sous l'ombre des feuillages. Il y fait frais - le soleil tape dur aujourd'hui, - et nous ne tardons pas à entendre les jets de gaz autour de nous. Les voilà. Les explorateurs ont pour tâche de pimenter un peu le parcours en divertissant les estivants. Ils ne savent pas que je suis là. Comme tout le monde, je lève les yeux en l'air pour les apercevoir, mais leurs capes vert sombre les transforme en formes fugitives presque mystérieuses, ce qui ajoute à l'ambiance. Les enfants sont ravis, et tandis que je me demande si Erwin est parmi eux, mes yeux tombent sur un duo que je connais.

Carla. Avec son fils, Eren. Il se chamaille avec deux autres mômes, que je ne connais pas, mais lui, oui, je l'aurais reconnu même sans sa mère, car il lui ressemble. Il a bien grandi, le petit... Les autres ne semblent pas être les enfants de Carla, même si je me souviens d'une vague affaire de banditisme qui l'a amenée à accueillir une orpheline dans son foyer. Avec le salaire de Grisha, elle peut se le permettre. Oui, il gagne mieux sa vie que moi, c'est sûr... Ca doit être la petite aux cheveux noirs qui court après Eren... Quel charmant spectacle... Et Grisha, où est-il ? Il a laissé seule sa petite famille...

Je serre les poings à m'en écorcher les paumes. Pourquoi cette sensation de regret m'assaille à chaque fois que je me trouve en présence de familles heureuses ? Suis-je venu pour m'infliger cette souffrance ? Je scrute le profil de Carla, levé vers les arbres, mais arborant un air contrarié. Elle semble ne pas goûter le spectacle... Elle est toujours aussi belle malgré le temps passé. Je me souviens de l'époque où elle n'était qu'une jeune serveuse, dont j'étais follement épris... Le jour où je lui ai présenté Grisha, j'aurais mieux fait de me casser une jambe... C'est trop tard maintenant. De quel droit irais-je mettre ma mauvaise humeur dans sa petite vie bien rangée ? Je n'ai même pas le droit d'aller la voir ; je n'en ai pas envie... pas après ce qui vient de se passer. Son mari a sauvé les soldats qui me restaient, et je lui en suis reconnaissant. Mais je ne peux me confronter à elle, à ses grands yeux verts...

Alors, je la suis à travers la forêt, à distance, essayant de ne pas l'envelopper de mes idées noires. Le groupe bifurque sur la gauche, et je suis le mouvement. Mes hommes vont peut-être refaire un passage... Ah oui, je les entends. Eren se met à sautiller sur place en tendant les mains en l'air. On entend que lui dans les environs. Il a l'air très enthousiaste, ce qui ne paraît pas au goût de sa mère.

En tout cas, il semble avoir un sacré caractère.

Les Chroniques de Livaï ~ Tome 2 [+13]Where stories live. Discover now