Je me souviens des neiges de Ravka, qui coupaient la peau et faisaient saigner le ciel. On m'a dit un jour que j'étais Grisha, alors j'ai fui.  J'ai appris à mélanger poisons et vérités en tant Alkemi, et j'ai survécu dans les ruelles tranchantes de Ketterdam, là où les miracles n'ont de sens que s'ils se paient en monnaie sale ou en loyauté volée. J'ai aimé des ombres. J'ai menti pour des causes. J'ai failli m'écrouler à Fjerda, la main sur le cœur et les ongles pleins de sang. Mais j'ai tenu. Les corbeaux ne tombent pas, ils se replient.

Je me souviens des valses masquées à Elfhame, des danses sur des couteaux déguisés en promesses. Là bas, j'ai appris à parler sans dire un mot. J'ai échangé mon nom contre un serment, ma peine contre une couronne creuse. J'ai défié des reines en souriant et flirté avec le danger comme d'autres boivent du vin féerique. On m'a crue mortelle, donc faible, et j'en ai fait une arme. Peut être ai je embrassé Cardan par défi ou par vengeance. Mais j'ai compris que survivre n'était pas la même chose que se soumettre.

Je me souviens des marbres froids du Domaine Hawthorne, des énigmes chuchotées entre les tapisseries et des lettres codées glissées dans des livres jamais ouverts. J'étais l'erreur du testament, ou peut-être sa solution. Là bas, les héritiers me regardaient comme une menace, sauf Grayson. Il m'a détestée d'abord, comme tous les garçons bien élevés qu'on dérange trop tôt. Mais j'ai su dénouer ses silences. Il m'a vu pour ce que je suis : une fille faite de pièges. Je ne sais pas si je l'ai séduit ou blessé, souvent les deux. Mais nos secrets s'accordaient. Et parfois, c'est suffisant.

Alors maintenant, je suis tout cela à la fois. Grisha, voleuse d'héritages, reine sans couronne. J'ai dansé avec les monstres, aimé des garçons en or terni, survécu aux jeux, aux sorts, et aux souvenirs. Je suis ce qui reste quand les mondes se croisent et que les histoires refusent de se taire.